La notion de résidence habituelle en droit international privé de la famille

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La notion de résidence habituelle en droit international privé de la famille

 La notion de résidence habituelle en droit international privé de la famille

 

 Issu de Gazette du Palais - n°279 - page 11

 Date de parution : 06/10/2015

 Id : GPL241y7

 Réf : Gaz. Pal. 6 oct. 2015, n° 241y7, p. 11

 

 Auteur : 

l  Sarajoan Hamou, avocat au barreau de Paris, associé, Mulon Associés

 

 La résidence habituelle constitue le critère de rattachement principal de la plupart des instruments internationaux et européens relatifs à la compétence judiciaire et à la loi applicable en droit de la famille. Pour autant, ces instruments donnent rarement de définition de cette notion, pourtant fondamentale à leur application, laissant place à l’interprétation de la CJUE et de la Cour de cassation. La résidence habituelle constitue le critère de rattachement principal de la plupart des instruments internationaux et européens relatifs à la compétence judiciaire et à la loi applicable en droit de la famille1. Alors qu’auparavant, le critère de la résidence habituelle était en concurrence avec celui de la nationalité, on ne peut désormais que constater la prépondérance du critère de la résidence habituelle et la vocation subsidiaire de la nationalité. Il est vrai que le critère de la nationalité est parfois difficile à mettre en œuvre, notamment dans le cas des binationaux2. De plus, le critère de la résidence habituelle permet de répondre à un objectif de proximité de la justice. En effet, si l’on prend le cas d’individus ressortissants d’un État mais résidant depuis plusieurs décennies dans un autre État, il paraît opportun de leur donner la possibilité de saisir les juridictions de leur État de résidence, tout en leur laissant le choix, s’ils le souhaitent, de se tourner vers leur État d’origine. Malgré cette place grandissante du critère de la résidence habituelle en droit international privé de la famille, on ne peut que noter la difficulté, pour les praticiens du droit, à définir et à appliquer cette notion pourtant centrale dans la plupart des règlements européens et des conventions internationales en matière familiale. En effet, comme ces instruments ne donnent souvent pas de définition de la résidence habituelle, les tribunaux, tant européens que nationaux, ont dû s’emparer de cette question et apporter leur propre définition. À cet égard, les règlements européens constituant désormais le droit commun en droit international privé de la famille, il convient de s’intéresser à la définition de la résidence habituelle dans les instruments européens et internationaux (I), avant d’étudier la position de la Cour de cassation face à cette définition européenne (II). I – La notion de résidence habituelle dans les instruments européens et internationaux De manière surprenante, la notion de résidence habituelle n’est que rarement définie dans les différents instruments européens (A), de sorte que la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée et en a donné une interprétation uniforme qui prévaut désormais (B). A – Une notion peu définie dans les divers instruments en droit de la famille 1 – En droit de l’Union européenne 1. Le règlement Bruxelles II bis du 27 novembre 20033. Le critère de la résidence habituelle est la clé de voûte du règlement Bruxelles II bis qui définit les règles de compétence internationale en matière de désunion et de responsabilité parentale. Il s’agit du chef de compétence internationale principal, s’agissant tant des époux que de la responsabilité parentale. En effet, l’article 3 qui définit la compétence générale en matière de divorce, de séparation de corps et d’annulation de mariage prévoit : « Compétence générale 1. Sont compétentes pour statuer sur les questions relatives au divorce, à la séparation de corps et à l’annulation du mariage des époux, les juridictions de l’État membre : a) sur le territoire duquel se trouve : la résidence habituelle des époux, ou ; la dernière résidence habituelle des époux dans la mesure où l’un d’eux y réside encore, ou ; la résidence habituelle du défendeur, ou ; en cas de demande conjointe, la résidence habituelle de l’un ou l’autre époux, ou ; la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins une année immédiatement avant l’introduction de la demande, ou ; la résidence habituelle du demandeur s’il y a résidé depuis au moins six mois immédiatement avant l’introduction de la demande et s’il est soit ressortissant de l’État membre en question, soit, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, s’il y a son “domicile” ; b) de la nationalité des deux époux ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l’Irlande, du “domicile” commun. » La préférence donnée à la résidence habituelle sur la nationalité est donc très nette. De même, s’agissant de la responsabilité parentale, l’article 8, qui en définit les règles de compétence générale, prévoit que : « Compétence générale 1. Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l’égard d’un enfant qui réside habituellement dans cet État membre au moment où la juridiction est saisie. 2. Le paragraphe 1 s’applique sous réserve des dispositions des articles 9, 10 et 12. » Pour autant, le règlement ne contient pas de définition de la notion de résidence habituelle, alors même que l’article 2 intitulé « Définitions » s’attache à définir les termes principaux du règlement tels que : juridiction, décision, responsabilité parentale, etc. 2. Le règlement n° 4/2009 du 18 décembre 20084. Ce règlement repose également sur la notion de résidence habituelle puisque le critère de rattachement principal est le suivant : « Article 3. Dispositions générales Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres : a) la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou ; b) la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou ; c) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à l’état des personnes lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties, ou ; d) la juridiction qui est compétente selon la loi du for pour connaître d’une action relative à la responsabilité parentale lorsque la demande relative à une obligation alimentaire est accessoire à cette action, sauf si cette compétence est fondée uniquement sur la nationalité d’une des parties ». Ainsi, la résidence habituelle est le seul critère permettant de fonder la compétence d’une juridiction pour statuer sur les obligations alimentaires, à l’exception du cas de la demande accessoire à une action relative à l’état des personnes ou à la responsabilité parentale. Le critère de la nationalité n’est présent dans ce règlement que dans l’hypothèse de l’élection de for, les parties pouvant choisir la juridiction de l’État membre dont l’une des parties a la nationalité. À nouveau, ce règlement ne donne pas de définition de la résidence habituelle, en dépit de la longue liste de définitions contenue à son article 2. 3. Le règlement Rome III du 20 décembre 20105. De la même manière, ce règlement vise la résidence habituelle comme principal critère de rattachement. Ce texte va même plus loin que le règlement Bruxelles II bis dans la place qu’il donne à la résidence habituelle par rapport à la nationalité. En effet, le règlement Bruxelles II bis prévoit des critères de rattachement alternatifs6 et les époux peuvent indifféremment choisir de saisir la juridiction de l’État sur le territoire duquel se trouve leur résidence habituelle ou bien celle de l’État dont ils ont la nationalité. En revanche, le règlement Rome III prévoit qu’à défaut de choix de loi applicable expressément fait par les époux : « Le divorce et la séparation de corps sont soumis à la loi de l’État : a) de la résidence habituelle des époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut ; b) de la dernière résidence habituelle des époux, pour autant que cette résidence n’ait pas pris fin plus d’un an avant la saisine de la juridiction et que l’un des époux réside encore dans cet État au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut ; c) de la nationalité des deux époux au moment de la saisine de la juridiction ; ou, à défaut ; d) dont la juridiction est saisie ». Il s’agit donc d’un rattachement en cascade avec une nette préférence pour le critère de la résidence habituelle. Ce n’est en effet que si les époux n’ont plus de résidence habituelle depuis plus d’un an que la loi de la nationalité commune des époux s’appliquera à leur divorce. Tout comme le règlement Bruxelles II bis, le règlement Rome III ne donne pas de définition de la résidence habituelle, alors même qu’il contient un article 3 intitulé « Définitions ». 4. Le règlement Successions du 4 juillet 20127. Ce règlement, entré en vigueur le 17 août 2015, est le plus récent des textes mentionnés et c’est sans doute la raison pour laquelle il est le seul à prévoir une définition de la notion de résidence habituelle. Ce texte unifie la règle de compétence en matière de successions, la règle de conflit générale étant désormais la suivante : « Article 4. Compétence générale Sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. » Ce n’est qu’à titre subsidiaire que la nationalité du défunt intervient au niveau de la compétence (art. 10), le facteur général de rattachement aux fins de la détermination, tant de la compétence que de la loi applicable, étant la résidence habituelle du défunt au moment du décès8. S’agissant de la loi applicable, c’est à nouveau la loi de l’État de la résidence habituelle du défunt qui l’emporte aux termes de l’article 21, avec cependant des aménagements possibles : « Article 21. Règle générale 1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. 2. Lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l’ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État. », Le règlement prévoit donc une réserve en faveur de la loi de l’État présentant des liens manifestement plus étroits avec le défunt, ainsi que, en son article 22- 1, la possibilité de choisir la loi de l’État de sa nationalité. Ce règlement est le premier en matière de droit de la famille qui donne une définition de la résidence habituelle, non pas cependant dans un de ses articles, mais dans ses considérants 23 et 24. « (23) (…) Afin de déterminer la résidence habituelle, l’autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d’ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. La résidence habituelle ainsi déterminée devrait révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du présent règlement. » « (24) Dans certains cas, il peut s’avérer complexe de déterminer la résidence habituelle du défunt. Un tel cas peut se présenter, en particulier, lorsque, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période, tout en ayant conservé un lien étroit et stable avec son État d’origine. Dans un tel cas, le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l’espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d’origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale. D’autres cas complexes peuvent se présenter lorsque le défunt vivait de façon alternée dans plusieurs États ou voyageait d’un État à un autre sans s’être installé de façon permanente dans un État. Si le défunt était ressortissant de l’un de ces États ou y avait l’ensemble de ses principaux biens, sa nationalité ou le lieu de situation de ces biens pourrait constituer un critère particulier pour l’appréciation globale de toutes les circonstances de fait. » Il ressort de cette définition que la résidence habituelle, du moins en matière de successions, se compose d’un élément matériel (durée et régularité de la présence) et d’un élément intentionnel (raisons de la présence). Cependant, cette définition donne surtout des indications et des directives de recherche s’appuyant principalement sur le critère des « liens étroits et stables ». On ne peut qu’espérer que la Cour de justice ait bientôt l’occasion de donner une définition autonome de cette notion. On notera enfin que cette définition semble très spécifique au droit des successions et peut donc difficilement être transposée aux matières telles que le droit de la désunion ou de la responsabilité parentale. 2 – Dans les conventions internationales 5. La convention de La Haye du 14 mars 19789. Cette convention prévoit que la règle générale en matière de loi applicable aux régimes matrimoniaux est la suivante : « Article 4. Si les époux n’ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est soumis à la loi interne de l’État sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage. Toutefois, dans les cas suivants, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’État de la nationalité commune des époux : 1. lorsque la déclaration prévue par l’article 5 a été faite par cet État et que son effet n’est pas exclu par l’alinéa 2 de cet article ; 2. lorsque cet État n’est pas partie à la Convention, que sa loi interne est applicable selon son droit international privé, et que les époux établissent leur première résidence habituelle après le mariage : a) dans un État ayant fait la déclaration prévue par l’article 5, ou ; b) dans un État qui n’est pas partie à la Convention et dont le droit international privé prescrit également l’application de leur loi nationale ; 3. lorsque les époux n’établissent pas sur le territoire du même État leur première résidence habituelle après le mariage. À défaut de résidence habituelle des époux sur le territoire du même État et à défaut de nationalité commune, leur régime matrimonial est soumis à la loi interne de l’État avec lequel, compte tenu de toutes les circonstances, il présente les liens les plus étroits. » Ainsi, le critère de la première résidence habituelle commune des époux est le critère principal pour désigner la loi applicable au régime matrimonial des époux, mais cette règle reprend en réalité l’ancienne règle de droit commun10. La nationalité occupe encore une place prépondérante dans cette convention, sans doute parce qu’il s’agit d’un texte ancien. On notera d’ailleurs à cet égard que la proposition de règlement européen sur les régimes matrimoniaux en date du 16 mars 201111 fait la part belle au critère de la résidence habituelle. 6. La convention de La Haye du 25 octobre 198012. Ce texte, relatif aux aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, repose nécessairement sur la notion de résidence habituelle de l’enfant, puisque c’est après avoir défini la résidence habituelle d’un enfant que l’on peut établir si l’on est ou non en présence d’un enlèvement international ou d’un non-retour illicite. La notion de résidence habituelle est donc fondamentale dans ce texte qui, pour autant, n’en fournit aucune définition. 7. La convention de La Haye du 19 octobre 199613. Cette convention réglemente la loi applicable à la responsabilité parentale et, comme les autres instruments précités, elle vise expressément la résidence habituelle comme critère principal. Ainsi, son article 15, qui établit la règle générale de la loi applicable, prévoit que : « 1. Dans l’exercice de la compétence qui leur est attribuée par les dispositions du chapitre II, les autorités des États contractants appliquent leur loi. 2. Toutefois, dans la mesure où la protection de la personne ou des biens de l’enfant le requiert, elles peuvent exceptionnellement appliquer ou prendre en considération la loi d’un autre État avec lequel la situation présente un lien étroit. 3. En cas de changement de la résidence habituelle de l’enfant dans un autre État contractant, la loi de cet autre État régit, à partir du moment où le changement est survenu, les conditions d’application des mesures prises dans l’État de l’ancienne résidence habituelle. » Mais aucune définition de la résidence habituelle n’est donnée dans cette convention comme dans les autres conventions de La Haye. 8. Le protocole de La Haye du 23 novembre 200714. Le règlement n° 4/2009 précité opère un renvoi au protocole de La Haye du 23 novembre 2007, plus précisément à son article 15 s’agissant de la loi applicable aux obligations alimentaires. La règle générale relative à la loi applicable aux obligations alimentaires est la suivante : « Article 3. Règle générale relative à la loi applicable 1. Sauf disposition contraire du protocole, la loi de l’État de la résidence habituelle du créancier régit les obligations alimentaires. 2. En cas de changement de la résidence habituelle du créancier, la loi de l’État de la nouvelle résidence habituelle s’applique à partir du moment où le changement est survenu. » C’est donc, une fois encore, la résidence habituelle qui est le critère principal de cet instrument, la nationalité n’étant visée que dans le cas où les parties s’accordent sur la loi applicable aux obligations alimentaires, les parties pouvant choisir la loi de la nationalité de l’une des parties (art. 8). Cependant, le protocole ne donne, lui non plus, aucune définition de la résidence habituelle. 9. Conclusion. Il ressort de cette analyse non exhaustive des instruments européens et internationaux que la plupart des textes relatifs à la compétence et à la loi applicable en droit de la famille sont fondés sur la notion de résidence habituelle mais n’en donne pas de définition. C’est donc la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), s’agissant des règlements européens, qui est venue préciser cette notion. B – Une définition jurisprudentielle par la CJUE 10. Définition autonome. Selon une jurisprudence constante, il découle des exigences de l’application uniforme du droit de l’Union européenne et du principe d’égalité qu’une disposition de droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doit normalement trouver une interprétation autonome et uniforme qui tienne compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en question15. Dès lors, les articles relatifs aux règles de compétence et de loi applicable contenus dans les règlements précités ne comportant aucune définition et aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer le sens et la portée de la notion de « résidence habituelle », cette détermination doit être effectuée au regard du contexte des dispositions et de l’objectif des différents règlements, tels qu’ils ressortent notamment de leurs considérants. 11. Historique de la définition de la résidence habituelle en droit de l’Union européenne. La première décision intervenue, à notre connaissance, sur la notion de résidence habituelle en droit communautaire a été rendue en matière de sécurité sociale des travailleurs migrants16. Cette définition a été par la suite reprise dans les autres secteurs du droit communautaire17. Il s’agit d’une définition abstraite fondée sur une approche qualitative qui qualifie la résidence habituelle comme « le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent de ses intérêts ». Cependant, cette définition ne saurait être directement transposable en droit de la famille, notamment s’agissant de l’appréciation de la résidence habituelle des enfants. En effet, on voit mal dans quelle mesure on pourrait analyser la notion de « centre permanent des intérêts » s’agissant d’un enfant, sans confondre la résidence habituelle des enfants avec celle de leurs parents. Or, s’il est question d’un côté de la résidence habituelle en matière matrimoniale et de l’autre de la résidence habituelle en matière de responsabilité parentale, c’est bien parce que la résidence habituelle des parents et celle des enfants peuvent différer dans une même affaire (notamment en cas de résidence transfrontalière ou de scolarisation de l’enfant à l’étranger). C’est la raison pour laquelle la CJUE est venue préciser la notion de résidence habituelle dans le cadre de l’application du règlement Bruxelles II bis, et plus particulièrement de son article 8 relatif à la responsabilité parentale. 12. Définition de la résidence habituelle en matière de responsabilité parentale. Ainsi, la Cour de justice de l’Union européenne a pu établir, dans un arrêt du 2 avril 200918 puis dans un arrêt du 22 décembre 201019, que la notion de « résidence habituelle », au titre de l’article 8, § 1, du règlement Bruxelles II bis, doit être interprétée en ce sens que cette résidence correspond au lieu qui traduit une certaine intégration de l’enfant dans un environnement social et familial. À cette fin, doivent notamment être pris en considération la durée, la régularité, les conditions et les raisons du séjour sur le territoire d’un État membre et du déménagement de la famille dans cet État, la nationalité de l’enfant, le lieu et les conditions de scolarisation, les connaissances linguistiques ainsi que les rapports familiaux et sociaux entretenus par l’enfant dans ledit État. Il appartient à la juridiction nationale d’établir la résidence habituelle de l’enfant en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait propres à chaque cas d’espèce. L’arrêt de la CJUE du 2 avril 2009 était extrêmement attendu dans la mesure où la Cour de cassation avait pris les devants dans un arrêt de 200520, donnant une définition contestable de la notion de résidence habituelle en matière de désunion (v. infra § 18). Cependant, il convient de noter que la Cour de justice ne donne toujours pas de définition précise de la notion de résidence habituelle et se contente d’indiquer les critères d’interprétation de la résidence habituelle de l’enfant dans le cadre du règlement Bruxelles II bis. Cette absence de définition précise par la CJUE s’explique sans doute par son refus de donner une définition abstraite d’une notion qui doit nécessairement être appréciée in concreto21. La Cour prend par ailleurs le soin d’indiquer dans cet arrêt que la jurisprudence antérieure ne saurait être directement transposée dans le cadre de l’article 8 du règlement Bruxelles II bis. Dès lors, on peut penser que la notion de résidence habituelle peut être appréciée différemment selon la règle mise en œuvre. Il est donc possible que la définition de la résidence habituelle retenue en matière de désunion (art. 3) diffère de la notion de résidence habituelle de l’enfant (art. 8). Cette jurisprudence a récemment connu une nouvelle application. Dans un arrêt du 9 octobre 201422, il était question d’un homme de nationalité française et d’une femme de nationalité britannique qui se sont mariés et ont eu un enfant en France. L’épouse engage une procédure de divorce en France. Par un jugement en date du 2 avril 2012, le tribunal de grande instance d’Angoulême fixe la résidence habituelle de l’enfant chez la mère à compter du 7 juillet 2012 et accorde un droit de visite et d’hébergement au père. Le jugement prévoit, en cas de désaccord entre les parties, des modalités du droit de visite et d’hébergement qui diffèrent selon le lieu de résidence de la mère (France ou Irlande). Ce même jugement autorise la mère à quitter la France et à s’installer en Irlande avec l’enfant, tout en énonçant dans son dispositif que cette décision est « exécutoire de droit par provision s’agissant des dispositions concernant l’enfant ». C’est dans ces circonstances que le 12 juillet 2012, la mère s’installe en Irlande. Le père interjette alors appel du jugement concernant les mesures relatives à l’enfant. Par un arrêt du 5 mars 2013, la cour d’appel de Bordeaux infirme le jugement rendu par le TGI d’Angoulême et fixe la résidence habituelle de l’enfant chez le père, en accordant un droit de visite et d’hébergement à la mère. Or, à la suite de cette décision, la mère ne remet pas l’enfant au père. Le père saisit alors le juge aux affaires familiales du TGI de Niort afin qu’il soit statué sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale, et notamment que soit ordonné le retour de l’enfant à son domicile sous astreinte, demandes accueillies par le tribunal. Parallèlement, le 29 mai 2013, le père saisit les juridictions irlandaises pour voir ordonner le retour de l’enfant en France et déclarer que la mère a retenu illicitement celui-ci en Irlande en application de l’article 12 de la Convention de La Haye, tel que mentionné par l’article 11 du règlement Bruxelles II bis. En l’espèce, la juridiction irlandaise saisie devait se prononcer sur l’existence ou non d’un déplacement ou d’un non-retour illicite de l’enfant à son lieu de résidence habituelle, afin de pouvoir ordonner son retour. Cette juridiction rejette la demande du père, considérant que le déplacement de l’enfant était licite car le jugement français en date du 2 avril 2012 autorisait la mère à quitter la France avec l’enfant et était d’exécution provisoire. Le père interjette appel du jugement en soulevant, d’une part, que le fait que le déplacement de l’enfant en Irlande était licite ne signifie pas que sa résidence habituelle ait changé et, d’autre part, qu’un déplacement licite n’exclut pas un non-retour illicite. La High Court interroge la CJUE sur le point de savoir si les juridictions françaises demeurent compétentes sur le fondement de l’article 12, § 2 et 3, du règlement Bruxelles II bis en dépit du transfert de la résidence de l’enfant en Irlande et si, en l’espèce, la mère et l’enfant étaient autorisés, au regard du droit européen, à établir leur résidence en Irlande (§ 30 et 31), en rappelant que la notion de « résidence habituelle » de l’enfant n’est pas définie par le règlement. S’agissant de la notion de « résidence habituelle », la CJUE rappelle que, suivant sa propre jurisprudence23, la juridiction nationale doit examiner si, outre la présence physique de l’enfant sur le territoire, d’autres facteurs sont susceptibles de faire apparaître que cette présence n’est point temporaire ou occasionnelle et que la résidence de l’enfant correspond au lieu qui traduit une certaine intégration dans un environnement social et familial (§ 51). La Cour européenne fait donc ici une parfaite application de sa propre jurisprudence et réaffirme sa position quant à la résidence habituelle de l’enfant. 13. Conséquences de cette définition. Pour le moment, la CJUE ne s’est prononcée que sur la notion de résidence habituelle au regard de l’article 8 du règlement Bruxelles II bis. Il convient de s’interroger sur les conséquences de cette définition sur la notion de résidence habituelle en matière matrimoniale ainsi que dans les autres textes européens et internationaux. Comme indiqué précédemment, il n’est pas acquis qu’au sein d’un même texte, la notion de résidence habituelle soit la même. Ainsi, la résidence habituelle des époux au sens de l’article 3 du règlement Bruxelles II bis n’est pas nécessairement la même que celle de l’enfant au sens de l’article 8 dudit règlement. On ne peut qu’attendre de la CJUE qu’elle s’empare de la question et nous livre sa définition. Pour autant, on peut quand même tirer les conséquences de la jurisprudence en matière de responsabilité parentale sur la notion de résidence habituelle des époux, bien que cela ne semble pas être de l’avis de la Cour de cassation (v. infra § 19). S’agissant des autres règlements européens, compte tenu de l’exigence d’interprétation uniforme des dispositions communautaires, on peut aisément déduire que la notion de résidence habituelle de l’enfant définie par la CJUE dans les arrêts précités doit s’appliquer dans les autres règlements européens en matière de responsabilité parentale. Enfin, certaines conséquences peuvent également être tirées s’agissant de la notion de résidence habituelle de l’enfant dans le cadre des Conventions de La Haye. En effet, les trois arrêts rendus par la CJUE avaient trait à une situation d’enlèvement international d’enfant. Or, dans ce cas, le règlement Bruxelles II bis opère un renvoi à la Convention de La Haye du 25 octobre 1980, et c’est donc sur la base de ces deux textes que la CJUE statue en la matière. Ainsi, on peut déduire que la notion de résidence habituelle de l’enfant au sens de l’article 8 du règlement est la même que celle mentionnée dans la Convention de La Haye de 1980, et donc sans doute dans les autres Conventions de La Haye s’agissant de la résidence de l’enfant, l’ensemble de ces textes poursuivant le même objectif de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, et la notion devant être interprétée à la lumière dudit objectif (v. supra § 10). 14. Conclusion. Il ressort donc de l’analyse des textes européens et de la jurisprudence européenne que la notion de résidence habituelle en matière de responsabilité parentale et d’enlèvement international d’enfant est désormais définie selon une approche fonctionnelle intégrant des éléments matériels et des éléments intentionnels. Ce n’est cependant pas encore le cas (sauf en droit des successions) dans d’autres domaines, tels que le droit de la désunion. Ce décalage entre la définition de la notion de résidence habituelle en matière de responsabilité parentale et celle qui prévaut en matière de désunion ressort également de l’analyse de la position de la Cour de cassation. II – La notion de résidence habituelle selon la Cour de cassation A – En matière de responsabilité parentale 15. Une définition évolutive. La Cour de cassation ne s’est prononcée qu’à de rares reprises sur la notion de résidence habituelle en matière de responsabilité parentale. Elle s’était prononcée sur cette notion au regard de la Convention de La Haye de 1961 relative à la protection des mineurs, désormais inapplicable24. À cette occasion, elle avait rendu une décision pour le moins curieuse puisqu’elle avait conclu que la résidence habituelle des enfants était en France en dépit de l’installation professionnelle de la mère et de la scolarisation des enfants en Suisse. Le fait que la famille se retrouve en fin de semaine en France avait conduit à considérer que la résidence des enfants était en France et que le juge français était compétent. La haute juridiction semble être ensuite revenue sur sa position dans un arrêt du 10 octobre 201225 rendu postérieurement aux deux arrêts de la CJUE dans lesquels la notion de résidence habituelle des enfants a été précisée. Pour autant, la Cour de cassation ne vise aucun règlement ou convention internationale dans son arrêt, de sorte qu’on ne peut savoir si elle donne sa propre interprétation de la notion ou applique la jurisprudence européenne. En l’espèce, il s’agissait de jumeaux nés en France en 2004 de parents algériens mariés en Algérie. En 2008, les juridictions algériennes avaient prononcé le divorce et confié la garde et la tutelle des enfants au père sur le fondement du Code algérien de la famille. La mère profite du retour de ses enfants en France pour saisir le juge de Bobigny en la forme des référés afin de transférer la résidence des enfants à son domicile, sur le fondement du droit français. Malgré l’exception soulevée par le père, le juge aux affaires familiales, puis la cour d’appel de Paris, acceptent la compétence du juge français. La Cour de cassation valide ce raisonnement, au motif que les enfants avaient, au jour de la demande de la mère, soit à la date de l’assignation en la forme des référés, leur résidence habituelle en France. Pour se prononcer en ce sens, la Cour de cassation retient deux critères : la scolarisation des enfants et l’intention du père de s’installer en France. S’agissant de la prise en compte de la scolarisation pour définir la résidence habituelle des enfants, la haute juridiction prend le contre-pied de sa position adoptée en 2008, où elle avait considéré que la scolarisation des enfants était sans incidence sur la résidence habituelle de ceux-ci. Il est vrai que, dans cette espèce, la famille vivait à proximité de la frontière suisse et que la scolarisation des enfants dans ce pays pouvait ne pas être suffisamment déterminante au regard de l’intention de la famille. Sur le second critère en revanche, la Cour de cassation suit son raisonnement adopté en 2008, puisqu’elle prend soin de préciser, pour établir la résidence habituelle en France, que le père avait l’intention de s’installer en France au jour de la saisine du juge par la mère, ce qu’il avait reconnu devant les juges du fond. La Cour semble donc privilégier l’élément intentionnel des parents, mais y ajoute un critère matériel tel que la scolarisation. Ce raisonnement est, selon nous, à approuver dans la mesure où, comme indiqué précédemment, si seul l’élément intentionnel était retenu, la notion de résidence habituelle de l’enfant se confondrait avec celle du parent ou de l’époux, or il apparaît que cela n’est pas toujours le cas. De plus, cet arrêt, bien que ne faisant pas référence à la jurisprudence ou à un texte européens, s’inscrit bien dans la tendance dégagée par la CJUE sur la notion de définition de la résidence habituelle de l’enfant. 16. Application de la jurisprudence européenne relative à l’article 8 du règlement Bruxelles II bis. La Cour de cassation a rendu récemment deux arrêts sur la notion de résidence habituelle des enfants. La haute juridiction devait déterminer l’État dans lequel la résidence des enfants était fixée afin d’ordonner ou non le retour de l’enfant dans un cas, et de fonder la compétence des juridictions françaises dans l’autre. La haute juridiction suit le même raisonnement dans les deux arrêts, en indiquant que si la durée de séjour de l’enfant dans un État est à prendre en compte, elle ne constitue pas un critère suffisant pour apprécier la résidence habituelle de l’enfant. Le critère fondamental reste l’intégration de l’enfant dans le nouvel État, critère qui peut s’apprécier au vu d’un faisceau d’indices dont la durée du séjour fait partie. Dans la première espèce26, les parents s’opposaient quant à la fixation de la résidence habituelle de l’enfant. Un arrêt du 5 août 2013 sursoit à statuer en attendant qu’une décision définitive soit rendue sur la demande formée par le ministère public aux fins de retour de l’enfant en Belgique en application de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Le procureur de la République forme un contredit devant la cour d’appel qui tranche que le juge aux affaires familiales est compétent pour statuer sur sa demande, décide d’évoquer l’affaire au fond et écarte la demande de retour de l’enfant. La Cour de cassation, saisie du pourvoi du père, censure l’arrêt. Elle retient que pour considérer que la résidence habituelle de l’enfant était en France, la cour d’appel s’est prononcée en considération de la seule durée du séjour de la mère et de sa fille sur le territoire, et non de l’ensemble des circonstances de fait particulières, dont la commune intention des parents de transférer cette résidence ainsi que les décisions prises en vue de l’intégration de l’enfant. Dans la seconde espèce27, les parents de nationalité allemande résidaient en France avec leurs deux enfants nés en Allemagne. À la suite du départ de l’épouse du domicile conjugal pour s’installer en Allemagne, la résidence des enfants est fixée par une juridiction française au domicile de chacun des parents en alternance. Puis un jugement, confirmé en appel, fixe la résidence des enfants au domicile de la mère, celui-ci pouvant être en Allemagne. Le père saisit à nouveau une juridiction française pour voir fixer la résidence des enfants en France. L’exception d’incompétence soulevée par la mère au profit des juridictions allemandes en raison de la résidence habituelle des enfants en Allemagne est accueillie en application de l’article 8 du règlement Bruxelles II bis. La cour d’appel de Colmar confirme ce jugement et le père forme alors un pourvoi en cassation. La haute juridiction rejette le pourvoi, la cour d’appel ayant tenu compte d’un certain nombre d’éléments témoignant du fait que la résidence habituelle des enfants en Allemagne ne se limitait pas à une simple présence à caractère temporaire ou occasionnel, mais s’inscrivait dans la durée et traduisait une certaine intégration dans un environnement social et familial justifiant l’incompétence des juridictions françaises. Il ressort de ces deux arrêts que la Cour de cassation suit désormais à la lettre la définition donnée par la CJUE de la notion de résidence habituelle en matière de responsabilité parentale, en citant d’ailleurs expressément la jurisprudence des juges européens. À cet égard, la position de la Cour de cassation dans la première espèce semble un peu rigide. En effet, elle semble tenir à souligner tout particulièrement que la durée du séjour n’est pas le critère déterminant de la résidence habituelle et relève que la résidence, qui n’a duré que quatre mois, peut tout de même être la résidence habituelle. Or, bien que ce séjour s’inscrive dans un projet de déménagement et qu’une certaine intégration ait débuté, on ne peut nier que ce séjour a été de courte durée et que, dans ce cas particulier, la durée peut devenir le critère déterminant. Ainsi, ces deux affaires montrent bien que la résidence habituelle repose davantage sur des considérations qualitatives que quantitatives. Le fait que la volonté commune des parents soit prise en compte montre que l’élément intentionnel est également fondamental. En matière de responsabilité parentale, le critère de la résidence habituelle comme chef de compétence principal est justifié par le fait que le juge le plus proche de l’enfant est présumé être, dans son intérêt supérieur, celui de la résidence habituelle. Mais dans un cas comme celui-ci, si la résidence habituelle de l’enfant est bien considérée comme ayant été transférée en Belgique, l’intérêt de l’enfant commanderait sans doute que ce soit le juge français, qui présente des liens plus étroits avec l’enfant, qui statue. Fort heureusement, le législateur européen a envisagé cette hypothèse et il est donc possible de fonder la compétence de la France en tant que juridiction de l’ancienne résidence habituelle de l’enfant (art. 9). On saluera l’existence de ces différentes options qui permettent de servir l’objectif poursuivi de protection des intérêts de l’enfant. 17. Conclusion. Il faut donc retenir qu’au sens du droit européen, et désormais au sens de la Cour de cassation, la résidence habituelle de l’enfant est le lieu qui traduit une certaine intégration dans un environnement social et familial. À cet égard, elle doit être déterminée à la lumière de l’ensemble des circonstances de fait particulières, dont la commune intention des parents de transférer cette résidence ainsi que les décisions prises en vue de l’intégration de l’enfant, telles que la scolarisation. B – En matière de désunion 18. Position de la Cour de cassation antérieure aux arrêts de la CJUE en matière de responsabilité parentale. Dès l’entrée en vigueur du règlement Bruxelles II, la Cour de cassation et les juridictions du fond28 ont entrepris, sans interroger la juridiction communautaire, d’appliquer en matière de désunion la définition communautaire de la résidence habituelle dégagée dans d’autres domaines du droit : « Le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent de ses intérêts » (v. supra § 11). Dans un arrêt du 14 décembre 200529, il s’agissait pour le juge français, saisi d’une action en divorce opposant deux époux de nationalité britannique, de s’interroger sur sa compétence éventuelle. Selon le règlement Bruxelles II (abrogé et remplacé depuis lors par le règlement Bruxelles II bis) applicable en l’espèce, seule la résidence habituelle de l’épouse défenderesse était susceptible de justifier la compétence des juridictions françaises. Le pourvoi soulevait que la résidence habituelle est une notion factuelle, permettant « au demandeur de saisir le tribunal du lieu où ce défendeur réside en permanence à l’époque de cette saisine ». La détermination de la résidence habituelle nécessiterait donc de prendre uniquement en compte des éléments de rattachement objectifs, tels que la durée du séjour, sans qu’il ne soit tenu compte de l’intention et de la volonté des parties. Cette argumentation aboutissait à désigner la France comme l’État de la résidence habituelle de l’épouse, et donc à donner compétence au juge français. Cette interprétation n’a pas été retenue par la haute juridiction qui, au contraire, a pris soin de relever l’autonomie de la notion en droit communautaire. Ainsi, elle définit la résidence habituelle « comme le lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts ». Selon la Cour de cassation, la détermination de la résidence habituelle se fait donc par la prise en compte d’éléments objectifs, comme la durée et la continuité de la résidence, mais aussi de la volonté de s’y établir. En d’autres termes, la notion de « résidence habituelle » serait constituée d’un élément matériel et d’un élément intentionnel. Cet arrêt avait été vivement critiqué30 car la Cour de cassation avait repris la définition retenue dans d’autres domaines de la jurisprudence européenne, comme vu ci-avant. En effet, cette interprétation de la résidence habituelle aboutit au rejet d’une approche fonctionnelle de la notion pourtant souhaitable en droit de la famille, au profit d’une définition unique et abstraite, et aboutissait finalement à une définition de la résidence habituelle similaire à celle du « domicile » envisagée à l’article 103 du Code civil comme « une habitation réelle dans un (…) lieu, joint à l’intention d’y fixer son principal établissement ». 19. Position de la Cour de cassation postérieure aux arrêts de la CJUE. Alors que la Cour de cassation suit désormais la jurisprudence de la CJUE s’agissant de la notion de résidence habituelle en matière de responsabilité parentale, la situation est différente en matière de désunion. En effet, la haute juridiction a récemment rendu un arrêt qui traite de la notion de résidence habituelle au regard de l’article 3 du règlement Bruxelles II bis31. Dans cet arrêt, M. X, ressortissant néo-zélandais, et Mme Y, ressortissante britannique, se sont mariés en 1995 au Royaume-Uni. Les époux ont établi leur résidence en France à compter de 2004, l’épouse étant repartie en février 2012 au Royaume-Uni avec les deux enfants issus de l’union. L’époux a alors saisi le juge aux affaires familiales d’une demande en divorce. La cour d’appel de Colmar retient que le JAF du tribunal de grande instance de Mulhouse est incompétent, en application de l’article 3 du règlement Bruxelles II bis et de l’article 3 du règlement n° 4/2009, pour statuer sur le divorce des époux et sur ses conséquences financières, considérant que l’époux n’avait pas sa résidence habituelle en France. L’époux forme alors un pourvoi en cassation en indiquant que la cour d’appel n’avait pas recherché s’il avait fixé hors de France, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel de ses intérêts. La Cour de cassation rejette le pourvoi en indiquant que la domiciliation fiscale et administrative ainsi que quelques factures ne caractérisent pas une résidence habituelle, effective et permanente, et que dès lors, la cour d’appel avait légalement justifié sa décision. Cette décision est pour le moins étonnante puisque la cour d’appel de Colmar semble faire directement référence à la jurisprudence de la CJUE antérieure aux arrêts précités de 2009 et de 2010 et fait écho à la définition du « lieu où l’intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent de ses intérêts ». Pour autant, elle ne la cite pas expressément et renvoie à une résidence « habituelle, effective et permanente ». Comme évoqué précédemment, il n’est pas certain que la notion de résidence habituelle au sens de l’article 3 du règlement Bruxelles II bis soit la même que celle de l’article 8 du même texte au visa duquel les arrêts de la CJUE ont été rendus. Cependant, il est étonnant que la Cour de cassation ne raisonne pas a minima par analogie avec la décision rendue en matière de responsabilité, ou ne pose pas une question préjudicielle à la CJUE afin que la notion de résidence habituelle soit enfin précisée au regard de l’article 3 du règlement. En effet, la notion de la résidence habituelle en matière de responsabilité parentale donnée par la CJUE témoigne de l’approche fonctionnelle qui doit présider à la recherche de cette résidence. On se serait donc attendu à ce que la Cour de cassation donne ici une série de critères permettant la recherche et la qualification de la résidence habituelle, à l’instar de la méthode utilisée s’agissant de la résidence habituelle des enfants. Elle donne certes l’indication que la domiciliation fiscale et quelques factures ne suffisent pas à établir la résidence habituelle d’un époux, mais on regrettera qu’elle n’ait pas osé s’aventurer davantage et se détacher de l’ancienne définition communautaire de la résidence habituelle. 20. Conclusion. Si la notion de résidence habituelle de l’enfant semble désormais établie, ce n’est manifestement pas le cas en matière de désunion, domaine dans lequel l’intervention de la CJUE est vivement souhaitée. En effet, on a rappelé que le critère de la résidence habituelle a progressivement remplacé celui de la nationalité dans la plupart des textes relatifs au droit de la famille. Cependant, les difficultés liées à la recherche de la résidence habituelle, lorsqu’un débat existe à ce sujet, sont malheureusement créatrices d’une grande insécurité pour le justiciable puisqu’en l’absence de directives précises, il est parfaitement possible de soutenir, selon les intérêts en présence, que la résidence habituelle d’une partie est établie dans un État membre ou dans un autre. Le forum shopping étant rendu possible, notamment dans le cadre du règlement Bruxelles II bis, du fait de l’existence de critères de rattachement alternatifs, on ne peut qu’attendre avec impatience que ce risque soit limité, au moins en partie, par une interprétation uniforme de la notion de résidence habituelle en matière de désunion, à l’instar de celle qui prévaut en matière de responsabilité parentale. Notes de bas de page 1 – C. Pomard, « Enfin une définition pour la notion de résidence habituelle » : RLDC 2006/26, n° 2012. 2 – Sur le fait que la nationalité française prime sur l’autre nationalité : Cass. 1re civ., 13 oct. 1992, n° 90-19903 – Sur le fait que la nationalité effective prévaut : Cass. 1re civ., 14 mai 1974, n° 72-12196. 3 – Règl. (CE) n° 2201/2003 du Conseil du 27 nov. 2003 relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale abrogeant le règl. (CE) n° 1347/2000. 4 – Règl. (CE) n° 4/2009 du Conseil du 18 déc. 2008 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires. 5 – Règl. (UE) n° 1259/2010 du Conseil du 20 déc. 2010 mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la loi applicable au divorce et à la séparation de corps. 6 – CA Colmar, 2 sept. 2002 : Procédures 2003, n° 137, note C. Nourrissat – Cass. 1re civ., 22 févr. 2005, n° 02-20409 – Cass. 1re civ., 24 sept. 2008, n° 07-20248. 7 – Règl. (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juill. 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen. 8 – Règl. Successions op. cit., consid. 23. 9 – Convention du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux. 10 – Consultation de Du Moulin de 1925 pour les époux de Ganay : loi d’autonomie et, en l’absence d’une désignation expresse de la loi applicable, les tribunaux recherchent la volonté présumée des époux, l’indice principal pour trouver cette volonté étant le lieu du premier domicile conjugal. 11 – Proposition de règl. du conseil relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux, consultable sur http://ec.europa.eu/justice/policies/civil/docs/com_2011_126_fr.pdf 12 – Convention du 25 oct. 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. 13 – Convention du 19 oct. 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants. 14 – Protocole du 23 nov. 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. 15 – V. not. CJCE, 18 janv. 1984, n° 327/82, Ekro : Rec. p. 107, pt n° 11 – CJCE, 6 mars 2008, n° C-98/07, Nordania Finans et BG Factoring : Rec. p. I-1281, pt n° 17. 16 – CJCE, 12 juill. 1973, n° 13/73 : Rec. p. 935. 17 – CJCE, 17 févr. 1977, n° 76-76, Di Paolo – CJCE, 8 juill. 1992, n° C-102/91, Knoch – CJCE, 29 sept. 1998, n° C-90/97, Swaddling c/ Adjudication Officer. 18 – CJCE, 2 avr. 2009, n° C-523/07, A., pt n° 44. 19 – CJUE, 22 déc. 2010, n° C-497/10, Mercredi c/ Chaffe, pt n° 56. 20 – Cass. 1re civ., 14 déc. 2005, n° 05-10951, Moore, préc. 21 – A. Richez-Pons, note sous CA Aix-en-Provence, 18 nov. 2004 : JDI 2005, p. 801, spéc. n° 10. 22 – CJUE, 9 oct. 2014, n° C-376/14. 23 – Arrêts préc. : CJCE, 2 avr. 2009, n° C-523/07 – CJUE, 22 déc. 2010, n° C-497/10. 24 – Cass. 1re civ., 20 févr. 2008, n° 07- 12581. 25 – Cass. 1re civ., 10 oct. 2012, n° 11-24505 : Gaz. Pal. 5 janv. 2013, p. 29, n° 112m9, note M. Eppler. 26 – Cass. 1re civ., 4 mars 2015, n° 14-19015. 27 – Cass. 1re civ., 25 mars 2015, n° 13-25225. 28 – CA Aix-en-Provence, 18 nov. 2004, n° 04/13340 : Gaz. Pal. 15 janv. 2005, p. 37, n° F5354. 29 – Cass. 1re civ., 14 déc. 2005, n° 05-10951, Moore. 30 – M. Farge, « Était-il opportun de définir la résidence habituelle en droit international privé communautaire ? » : Dr. Famille 2006, étude n° 17 ; D. 2006, p. 1495, obs. P. Courbe et F. Jault- Seseke ; Cass. 1re civ., 14 déc. 2005, n° 05-10951, préc. : Gaz. Pal. 25 févr. 2006, p. 14, n° G0513, note P. Guez. 31 – Cass. 1re civ., 8 juill. 2015, n° 14-15618. 

 

 

 

 Issu de Gazette du Palais - n°279 - page 11

 Date de parution : 06/10/2015

 Id : GPL241y7

 Réf : Gaz. Pal. 6 oct. 2015, n° 241y7, p. 11

 

 Auteur : 

l  Sarajoan Hamou, avocat au barreau de Paris, associé, Mulon Associés

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