AVANT- PROPOS
Les textes qui régissent l’économie générale des marchés de travaux, de fourniture ou de services pour le compte des collectivités publiques fixent les règles de fond et de forme permettant à celles-ci de satisfaire à leurs besoins dans les meilleures conditions juridiques, économiques et techniques. Ainsi, la meilleure politique pour faire face à cette demande afin de répondre aux besoins des collectivités publiques est celle qui s’efforce toujours d’organiser une compétition sincère et aussi large que possible. Édictée dans le but de protéger les collectivités publiques dans les réalisations économiques qu’elles nouent à des fins d’intérêt général, la législation des marchés publics a fait l’objet de réformes successives destinées à donner plus de transparence et d’égalité des chances à cet instrument, qui est aussi un instrument d’intervention économique indirect important pour la redistribution des richesses à travers le pays. A cet égard, on peut constater que cinq décennies ont donné naissance à cinq réformes marquées dans leur évolution par deux périodes : la première a vu l’adoption de deux décrets, celui du 19/05/65 et celui du 14/10/76; la deuxième période porte sur trois textes : du 31/12/98 et du 02/05/2007 ; enfin la dernière réforme a donné naissance au décret n°2-12-349 du 20 mars 2013. En effet la première période avait pour but l’adaptation de la réglementation aux problèmes financiers et économiques.
Le décret du 19/06/65 privilégiait la position qui consiste à rechercher l’achat aux meilleurs prix en profitant du jeu le plus large de la concurrence. L’adjudication a bénéficié de la priorité dans les modes de passation préconisés par ce décret et a été préférée aux autres procédures. L’administration choisissait parmi les candidats le moins-disant : elle n’avait pas une grande liberté de choix car le critère était le prix le plus bas, abstraction faite de la qualité de la prestation ou de la capacité technique de l’attributaire. Ce choix de l’adjudication n’était pas le fruit du hasard, mais le résultat d’une évolution historique, politique et financière. Historique : le traité d’Algesiras de 1906 constitue le premier texte qui prévoit dans son article 6 l’égalité des pays signataires de l’acte, et par voie de conséquence la possibilité de l’accès au marché marocain à tous les États ayant les mêmes droits pour l’obtention des marchés publics. C’est dans ce contexte que fut conclu le premier marché selon une procédure négociée en 1907 entre le délégué du Sultan Moulay Abdelaziz et la société française 16 connue sous le nom de la Compagnie marocaine. Cette compagnie a tout simplement sous-traité le marché. Le deuxième texte est législatif.
Il s’agit du dahir de la comptabilité publique du 16/06/1917 qui préconisait dans son article 23 l’adjudication comme mode de passation. Politique : d’une part, c’est là le choix délibéré d’une voie économique libérale par le Gouvernement ; d’autre part s’impose la nécessité de sauvegarder le tissu industriel constitué en majorité d’entrepreneurs étrangers détenteurs de capacités financières, techniques et d’un « savoir-faire.» Financière: l’adjudication permettait de faire des économies, mais au détriment de la qualité de la prestation réalisée. Le décret du 14/10/1976 avait introduit d’autres paramètres dans le choix des attributaires : le prix est devenu un élément secondaire dans le choix, mais surtout la qualité de la prestation est devenue le critère principal, avec une liberté accrue de l’administration pour choisir le candidat le plus apte à réaliser le travail ou la prestation.
Pour atteindre cet objectif, le décret de 1976 a introduit plusieurs modifications : il a accordé à l’administration un pouvoir très large pour choisir le mode de passation adéquat sans être liée par le prix ; il a aussi rehaussé le rang de l’appel d’offres, en supprimant la nécessité de procéder par le biais de l’adjudication quand le montant du marché ne dépasse pas 500.000 DH, tout en soulignant que le pouvoir laissé à l’administration doit aboutir à un choix objectif et ne doit pas se transformer en une décision arbitraire. Cette situation a engendré un comportement fâcheux dans la mesure où l’entente directe a pris une place prépondérante, d’où la disparition partielle de la concurrence. C’est la raison pour laquelle les décrets adoptés en 1998 et 2007 ont été élaborés dans l’optique d’éviter les errements du passé, tout en gardant les points positifs de la réglementation ancienne ; il s’agit de l’adaptation de l’outil à l’objectif : une réhabilitation de la concurrence et une moralisation des procédures. Tirant profit de l’expérience du passé, le décret n°2-12-349 du 20/03/2013 a donné une place prépondérante à la concurrence et au libre accès à la commande publique à tous les acteurs économiques, sans discrimination, tout en préconisant le retour au critère du moins-disant par le biais de 17 « l’offre économiquement la plus avantageuse » mais en s’entourant de verrous techniques, juridiques et financiers. L’exposé des motifs du code des marchés publics (C.M.P.) du 20/03/2013 constitue une synthèse des expériences précédentes.
Il a rappelé à cet effet que les démarches pour conclure les marchés publics doivent respecter les principes fondamentaux de la liberté d’accès à la commande publique : • La liberté d’accès à la commande publique; • L’égalité de traitement des candidats; • La transparence des procédures ; • La garantie des droits des concurrents ; • La moralisation de la passation et de l’exécution des marchés publics. Ces principes sont clairement énoncés par l’article premier du décret du 20/03/2013: « La passation des marchés publics doit obéir aux principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des concurrents et de transparence dans les choix du maître d’ouvrage. » Ces principes ont été pris et affirmés aussi par l’article 55 de la loi n° 45-08 du 18/02/2009 relative à l’organisation des finances des collectivités locales et de leurs groupements, qui prévoit que « les marchés des collectivités locales doivent être passés dans le respect de la libre concurrence. » La poursuite de ces objectifs est assurée par la préalable des besoins, le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence, ainsi que par le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse par une estimation des coûts des prestations à réaliser sur la base de la définition des prestations et des prix pratiqués sur le marché.
Ces principes obéissent également « aux règles de bonne gouvernance » qui permettent en effet « d’assurer l’efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. Ils exigent une définition préalable des besoins de l’administration. » A ces principes et règles viennent s’ajouter des objectifs d’ordre économique et environnemental : « La passation des marchés publics prend en considération le respect de l’environnement et les objectifs du développement durable. » Cela signifie que l’administration considère mieux les offres des entreprises qui mettent en avant des services ou des produits issus du développement durable et respectueux de l’environnement. L’article 17 du décret du 20/03/2013 met en relief tous ces aspects juridiques, économiques et sociaux de la politique de commandes publiques qui s’appuie sur deux axes essentiels : la réhabilitation de la concurrence et la moralisation des procédures.
L’objectif est simple : la pleine soumission des personnes publiques aux règles de la concurrence et la propagation, à la manière d’une onde, du credo de la concurrence. Le premier axe de cette politique porte sur la notion de réhabilitation de la concurrence dont l’objectif principal est triple : • Sur le plan juridique : permettre l’égalité d’accès aux commandes publiques à tous les acteurs économiques ; • Sur le plan économique : obtenir le meilleur rapport qualité prix, d’où une allocation optimale des ressources publiques à travers le principe de la concurrence entre les différents concurrents. L’idée sous-adjacente est, d’une part, l’adaptation de « l’adjudication » au contexte de la bonne gouvernance, et d’autre part, l’adaptation de l’appel d’offres avec présélection afin de pouvoir juger des capacités techniques et financières des candidats. Ceci permet le choix des attributaires les mieux aptes à réaliser un ouvrage qui peut être amorti dans un délai plus long que s’il était réalisé d’une manière insatisfaisante à moindre prix. • Sur le plan financier : la concurrence assure un meilleur emploi des deniers publics et permet aussi une redistribution équitable des fonds publics qui vont toucher un grand nombre d’entreprises sans discrimination. Cette réhabilitation est obtenue grâce, d’une part, à une vulgarisation de l’information par le biais de la publicité, et d’autre part, par la nouvelle vision de l’adjudication, l’élargissement du champ d’application de l’appel d’offres et la restriction de la procédure du choix direct (marché négocié avec achat sur bon de commande). L’autre axe concerne la moralisation des procédures. Ce dispositif a pour objet de mettre en place un cadre juridique en amont et en aval pour garantir le bon déroulement du processus de préparation et d’exécution du marché dans des conditions de clarté et de transparence, tout en décrivant les droits et les obligations des candidats.
* Le premier pilier dans le dispositif est la publicité, notamment la publication des programmes prévisionnels que l’ordonnateur envisage de lancer au titre de l’année budgétaire considérée selon l’article 14, la publicité de l’appel d’offres selon l’article 20, et l’information des concurrents, selon l’article 22 du C.M.P.
* Le second pilier est relatif à la procédure du contrôle, puis au suivi de l’exécution du marché (articles 164 -165 - 169 et 170). Cet aspect réglementaire a été consolidé par la refonte de l’aspect contractuel matérialisé dans le nouveau C.C.A.G. du 04/05/2000 qui se 19 substitue aux C.C.A.G. – relatifs aux travaux, approuvés par les décrets précédents. Il s’agit en fait des règles d’exécution. En outre, dans le cadre du renforcement du contrôle exercé sur l’administration, l’ordonnancement juridique souligne qu’en cas de pratiques indissociables d’un acte administratif, le législateur marocain confie le contrôle de cellesci, non pas aux autorités de droit commun de la concurrence, mais au juge administratif, ce qui implique qu’aucune personne publique ne peut se soustraire aux obligations pesant sur elle quant au respect des règles de la concurrence, dès lors que le juge administratif a su intégrer le droit de la concurrence dans le bloc de la légalité dont il fait application.
En effet, sous la pression de la mondialisation initiée par les pays riches visant à « harmoniser » les règles qui gouvernent le commerce international, un mouvement de refonte des règles de passation des marchés publics à travers le monde est observé, qui s’inscrit dans cette ligne de conduite initiée dès 1986 dans le cadre du cycle d’Uruguay. Il s’est achevé le 15 avril 1994 à Marrakech par l’adoption de l’Accord plurilatéral sur les marchés publics (A.M.P.), le jour même de la création de l’Organisation mondiale du commerce (O.M.C.). Parallèlement, la Commission des Nations unies pour le droit commercial international (C.N.U.D.C.I.) a adopté des lois types pour la passation des marchés publics dans les États émergents ou en développement. Trois parties seront consacrées au développement des thèmes traités par le code des marchés : • Le cadre juridique ; • Le cadre financier ; • Le contentieux juridictionn