INTRODUCTION GENERALE
« Ô hommes! Si vous doutez au sujet de la Résurrection, c’est Nous qui vous avons créés de terre, puis d’une goutte de sperme, puis d’une adhérence puis d’un embryon [normalement] formé aussi bien qu’informe pour vous montrer [Notre Omnipotence] et Nous déposerons dans les matrices ce que Nous voulons jusqu’à un terme fixé. Puis Nous vous en sortirons [à l’état] de bébé, pour qu’ensuite vous atteignez votre maturité1». Par ce verset coranique, Dieu rappelle les phases successives de création de l’être humain ; de terre, puis de goute de sperme, puis d’une adhérence, puis il en fait sortir un petit enfant.
En effet, le saint Coran prête un intérêt particulier aux droits de l’enfant. Il en énumère 66 droits tout en mettant l’accent sur l’orphelin.2 Quant à la scène internationale, elle prête de l’intérêt à l’enfant à travers l’illustre principe « l’humanité doit donner à l’enfant ce qu’elle a de meilleur ». Ce principe, érigé dans le préambule de la Déclaration de Genève sur les droits de l’enfant de 1924, affirme pour la première fois, l’existence des droits spécifiques pour les enfants. C’est une première étape qui met à la charge des adultes des devoirs à l’égard de l’enfant.3 Pour satisfaire à une protection adaptée aux besoins spécifiques de l’enfant, la scène internationale a procédé à la promulgation par les Nations Unies de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant le 20 novembre 1989, ci-après « CDE ». Celle-ci a provoqué un enthousiasme sans précédent dans la communauté internationale. En effet, le jour même de son ouverture à signature, en janvier 1990, 61 Etats paraphèrent ce texte, qui entra en vigueur le 2 septembre 1990 déjà, après avoir recueilli en quelques mois les 20 ratifications exigées pour sa mise en œuvre.
Aucun traité des droits de l’Homme n’a connu un tel empressement, à tel point qu’en 1995, plus de 150 Etats étaient devenus parties à ce contrat et qu’aujourd’hui la planète terre toute entière s’est ralliée derrière ce texte avec une ratification quasi universelle, en raison de 194 Etats parties sur 196.4 Ainsi, plusieurs expressions, notamment « les enfants ont des droits » « l’enfant, sujet de droits » « l’enfant, acteur des décisions qui le concernent » « l’enfant et son intérêt au centre de toutes nos préoccupations », fondent la nouvelle notion des droits de l’enfant, et caricaturent positivement le nouveau statut de l’enfant.5
Dans ce cadre, et étant donné que notre thème de recherche interpelle deux notions clés à savoir « l’enfant et le droit », il convient, de prime abord, de déterminer la définition du terme « enfant » et du terme « droit », pour ainsi les placer dans le contexte « du droit familial », champ de notre réflexion. « Un enfant, qu’est-ce donc ? Un morceau d’amour égaré, un miroir, une victime, un signe du temps en marche ».6 Etymologiquement, le terme « enfant » vient du latin infans qui signifie « celui qui ne parle pas ». « Celui ou celle qui n’a pas encore usage de la parole ». Cette définition étymologique rappelle la dépendance de l’enfant à l’adulte par la négation de la parole.7 La définition biologique est plus intéressante car elle considère l’enfant comme un organisme en développement anatomique, physiologique, mental, psychoaffectif (…). Cependant elle ne fixe pas de façon précise la fin de l’enfance, qu’elle situe à la fin de la maturation osseuse, de la croissance et du développement physique, vers la fin de la seconde décennie de la vie. Cette frontière entre l’enfance et l’âge adulte est imprécise et varie d’un individu à un autre.8
Le terme « enfant » évoque avant tout l’enfance, cette période de découverte et d’apprentissage au cours de laquelle l’individu s’achemine progressivement vers l’âge adulte.9 Il désigne en outre, une relation familiale où il n’y a pas de limite d’âge.10 Pour l’OMS, la définition de l’enfant prend en compte les aspects biologique, psychologique, économique et social, mais ne tient pas compte de l’âge. Cette définition se préoccupe du contexte social.11 Il s’avère, de manière générale, que les définitions du concept « enfant » se réfèrent à l’âge ou aux facteurs socioculturels. L’infans latin était ce que nous appelons un enfant en bas-âge. Aujourd’hui, le terme d’enfant est beaucoup plus largement étendu, puisqu’il est défini par la CDE comme étant « tout être humain âgé de moins de 18 ans sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable ».12
La CDE est le premier texte international qui donne une définition juridique de l’enfant,13 puisqu’en droit, le mot « enfant » est récent. La société semble n’avoir découvert la spécificité de l’enfant que dans la seconde moitié du XVIIIe siècle avec « l’Emile » de Jean-Jacques Rousseau. Par ailleurs, longtemps, le droit ne s’est intéressé qu’au mineur… pour l’enfermer dans cette condition, celle d’un incapable.14 A ce sujet, il y a lieu de signaler que la CDE a été signée par le Royaume du Maroc le 26 janvier 1990, puis ratifiée le 21 juin 1993,15 chose qui impose à notre pays d’honorer ses engagements quant à l’adaptation de sa législation aux principes et aux termes de cette Convention. D’autant plus, le préambule de la Constitution marocaine qui, en accordant la primauté aux conventions internationales dûment ratifiées sur le droit interne, réaffirme l’attachement du Maroc aux droits de l’Homme, tels qu’ils sont universellement reconnus. A cet égard, il importe de signaler que l’alignement de la législation nationale sur les objectifs de la Convention n’était pas systématique. En l’espèce, l’âge de la majorité légale en porte témoignage.
En effet, si l’âge de la majorité légale était fixé, en vertu de l’article 137 du livre IV du code du statut personnel et successoral (la Moudouana), à vingt et une années grégoriennes révolues16 et que cet âge a été ramené à vingt années grégoriennes révolues en 1992,17 l’article 209 du code de la famille en vigueur, le fixe, aujourd’hui, à dix-huit années grégoriennes révolues.18 Le législateur a opté pour l’âge de 18 ans comme limite à l’enfance, considérant que la masse d’informations que les enfants d’aujourd’hui doivent acquérir pour être adultes nécessite une durée plus courte que lors des siècles précédents. 19
Partant, on notera que le législateur marocain s’est progressivement conformé aux aspirations de la Convention en matière de majorité légale. En revanche, il convient de s’interroger sur les raisons justifiant le retard accumulé, autrefois, par le législateur marocain quant à l’harmonisation de la législation interne. Est-il dû à l’absence de dispositions Constitutionnelles édictant la primauté des conventions internationales sur le droit interne ? La réponse à cette question sera développée plus loin, lors de l’examen de la place des conventions internationales de manière générale, et la CDE de manière spécifique, dans l’ordre juridique national. Intéressons-nous à présent au second concept clé, constitutif de notre thème de recherche ; qu’est-ce que le droit ?
Pour répondre à cette question, de nombreux auteurs définissent le droit comme un ensemble de règles destinées à organiser la vie en société. Le droit se perçoit alors comme un ordre de contrainte, qui doit être suivi, sans déviance ; c’est alors que se retrouve le sens de « droit » entendu géométriquement comme non « courbé » ou non « brisé ».20 Dans cette hypothèse, le droit n’apparaît pas comme l’expression d’une liberté, mais comme un outil de direction des conduites humaines, indispensables à toute vie en société. Percevoir le droit comme un facteur de régulation sociale, composé de prescriptions relatives aux comportements des individus, revient à s’intéresser spécialement à sa forme. En ce sens, il est droit parce qu’il régente un groupe de personnes et parce qu’il est élaboré dans ce but. Peu importe alors la qualité de la règle, son éthique ou le fait qu’elle puisse être juste ou injuste.
Dans ce sens, on notera que le droit est droit parce qu’il est commandement. Cette notion droit-contrainte se retrouve dans de nombreuses définitions du droit et il s’agit là d’un de ses traits caractéristiques, auquel les auteurs reviennent souvent, même de façon détournée ou inconsciente.21 Au moment où certains auteurs optent pour une définition logique et systématique du concept « droit », la plupart des spécialistes seraient embarrassés face à une telle question. En effet, Kant distinguait deux questions : « Quid juris ? » (quelle est la solution en droit ?) qui, seule, intéresse les juristes ; et « Quid jus ? » (qu’est-ce que le droit ?) qui relève de la philosophie du droit.
Selon Aristote, le droit est une mesure de partage des choses. Il consiste à attribuer à chacun le sien : « Suum cuique tribuere ». C’est un « juste milieu ».23 Si l’on veut intéresser les juristes à une philosophie du droit dont ils ont grand besoin, tant pour interpréter le droit que pour l’édifier, qu’on leur présente une philosophie du droit qui soit à leur niveau : celui du droit positif. Ou sinon, le divorce continuera entre les juristes techniciens du droit et les philosophes du droit, au détriment des premiers, certes, livrés à l’empirisme, sans principes directeurs dans leur travail, mais aussi des seconds, exposés à s’égarer loin dans l’abstraction.24 A ce sujet, il convient de préciser qu’au Maroc, la philosophie du droit, en tant que discipline à part entière, est exclue du cursus universitaire dédié aux sciences juridiques. Devant l’éventail des conceptions dédiées au « droit », Jean Carbonnier admet qu’ « il y a plus d’une définition dans la maison du droit ».25 En définissant de manière générale le concept « droit », il s’avère temps de mettre le doigt sur deux sortes de droit : un droit objectif et un droit subjectif, une norma agendi et un jus agendi.